Fraternité, égalité, liberté…

Les dramatiques événements qui ont secoué la France ces dernières semaines ont conduit les pouvoirs publics et une partie de l’opinion à considérer la laïcité comme la clé de tous les maux qui frappent notre société.

Si  la défense de la laïcité de 1905 est impérative en ce qu’elle impose le respect de chacun et des autres, qu’il soit permis de penser que la solution aux fractures de la société passe d’abord par des mesures politiques de réduction des inégalités, qui sont les premiers facteurs de division.  L’intégration (pour reprendre ce concept  à la mode qui ne doit pas appauvrir le pays en le privant de ses diversités) c’est d’abord la solidarité.

Quant à la liberté d’expression, cet accessoire actif des libertés de pensée, d’opinion et de conscience, cette manifestation de notre intimité, méditons ce qu’en a si bien dit Karim Emile Bitar  dans une récente tribune sur le site de l’IRIS:  Le véritable courage consiste à défendre la liberté d’expression des « autres » et non pas celle des « nôtres ».

Cachez ce saint que je ne saurais voir.

Jésus Christ, juif fondateur au nom de son Père du christianisme, a été pendant son ministère de 29 à 32 sans domicile fixe, prêchant de Galilée en Judée. Il semblerait que la statuette le représentant bébé salué par les mages puisse elle-même se retrouver  à son tour sans crèche fixe en France, au moins  entre Nantes, Montpellier et Melun.

Saisis par une association de libre penseurs, appuyée par le Grand Orient de France (qui soutient par contre la crèche Baby-Loup mais c’est une autre affaire), les tribunaux administratifs de ces trois villes se sont en effet divisés sur la question de savoir si la crèche est un signe religieux dont il convient de bannir la présence dans les lieux publics.

Nantes a répondu par l’affirmative, Montpellier et Melun non. Crèche ou pas crèche, telle est donc la question.

Le sujet  de la crèche en elle-même est à cet égard  secondaire. Pour certains il s’agit d’un jouet folklorique avant tout destiné à enrichir les fabricants de santons, pour d’autres un symbole païen  que le judaïsme et le christianisme primitif auraient abhorré comme tel, pour d’autres encore  une tradition culturelle aussi digne d’intérêt que la dinde au marron, et pour les derniers enfin un emblème religieux qu’il convient de défendre ou bien d’interdire.  Et on l’aura bien compris, c’est entre les tenants de ces trois dernières propositions que le débat se joue.

Négligeant l’argument  selon lequel Jésus avait quand même recommandé à la samaritaine  de faire fi des symboles et de se contenter d’adorer Dieu en esprit et en vérité, il s’agit avant tout de savoir si la loi française sur la laïcité et les récents textes sur l’interdiction des signes religieux dans les services et dans certains lieux publics peuvent s’accommoder de la petite grange au toit de chaume  et de ses personnages plus ou moins bibliques.

J’avais émis il y a quelque temps l’opinion,  quand le législateur s’en était pris au foulard d’employées musulmanes des services publics, parfois déguisé en simple bandana pour apaiser les esprits chagrins,  qu’il allait se prendre les pieds dans le tapis. Car quand bien même César régit les affaires de César, arrive un moment où il doit réaliser que le religieux est installé en l’homme depuis la nuit des temps, et qu’il va être impossible de l’ignorer. Et le fait est là. Sorti par ce que le gouvernement croyait être la porte, le religieux  revient par la fenêtre pour rappeler à tort ou à raison qu’une crèche vaut bien un foulard, et qu’on ne pourra pas le cacher sous son chapeau, quand bien même ceci semble être le projet du jour: « Cachez ce saint que je ne saurais voir ».

Bon, la suite de cette aventure passera par plusieurs épisodes : cours administratives d’appel, Conseil d’Etat et probablement Cour européenne des droits de l’homme dont on rappellera toutefois qu’elle a déjà dit (Lautsi- 18 mars 2011 n°30814/06) en Grande Chambre du crucifix dans les classes d’école italiennes  qu’il s’agit d’un élément culturel plutôt passif qui n’empêche personne de croire, de ne pas croire, de croire en autre chose ou de faire ses devoirs, et dont l’interdiction ne se justifie pas.

Au-delà de tout ceci, force est de relever que  le débat sur la laïcité en France ne change décidément pas de nature  depuis plus d’un siècle. S’agit-il en toute neutralité de respecter toutes les religions, aussi absurdes seraient-elles, ou de les interdire de Cité ?

« Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui appartient à Dieu » dira le bébé de la crèche vagabonde. Méditons cette parole de vérité et cherchons peut-être à savoir ce que Dieu en pense.

 

Loi Macron : pourquoi la grogne ?

Le projet de loi dit « Macron » tendant à la déréglementation de plusieurs professions, et en particulier des professions juridiques, suscite le mécontentement des notaires, huissiers de justice, greffiers des tribunaux de commerce et des avocats aux barreaux  (les avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation étant a priori épargnés) .

En ce qui concerne le métier d’avocat, les raisons sont nombreuses mais on retiendra surtout la crainte de ses acteurs que le projet entame un processus de  perméabilité de  son périmètre réservé  et qu’il remette en cause certains de ses principes essentiels.

L’avocat s’honore,  ce qu’il fait également par son serment,  d’une volonté et d’un statut d’indépendance et  de liberté,  mais aussi  de discipline, d’éthique et bien entendu de compétence, le tout sous la surveillance et la protection des Ordres.

La crainte des avocats est qu’ouvrir peu à peu  et toujours plus leur métier à des intervenants étrangers à cette culture et à ces principes bouleverse la profession, en la « marchandisant » au risque de susciter une forme de  dumping financier, conçu pour attirer l’usager au prix d’ un service de moindre qualité.

Elle est encore que l’institution d’une catégorie d’ « avocats d’entreprise »,  salariés  d’entreprises qui ne fournissent pas elles-mêmes des services juridiques, contrevienne aux éléments consubstantiels du métier d’avocat qui est fait d’indépendance et de liberté, jamais de subordination.

Au point d’ailleurs que pour contourner cette dernière difficulté,  la loi interdirait en fait à ces « avocats d’entreprise » d’exercer la plaidoirie et la représentation de leur employeur. Quelle serait alors leur utilité ? Faire des juristes d’entreprises les titulaires d’un titre, celui d’avocat,  dont ils ne pratiqueraient pas les activités et prérogatives les plus essentielles ?  Une situation pour le moins incompréhensible et difficilement justifiable.

La question reste donc de savoir quel est l’intérêt que la déréglementation du métier d’avocat procurera.

Le gouvernement  nous parle de création d’emplois. Mais on a du mal à l’imaginer.

En effet, la demande juridique ou la demande judiciaire ne changeront pas. Au mieux, elles se déplaceront d’un ensemble de professionnels vers de nouveaux venus. Des emplois seront donc perdus pour être compensés par d’autres. Somme toute, ce sera une opération à compte nul, avec un risque de dégradation des qualifications et donc des niveaux de rémunération…

Cette déréglementation ne convainc donc personne et il n’est pas inutile de rappeler que la Garde des sceaux n’y est quant à elle guère favorable, quand bien même, discipline gouvernementale oblige, elle s’y trouve soumise.

Le projet de loi sera examiné par les chambres. On verra bien ce qu’il deviendra à l’issue des débats.

Remploi de biens propres.

Dans un arrêt récent, la Cour de cassation rappelle qu’un bien propre dont la valeur est remployée par un époux marié sous un régime de communauté (la plupart du temps parce que les époux n’ont pas souscrit un contrat de mariage) , ne lui reste propre que sous la double condition formelle d’une part d’une déclaration expresse de remploi et d’autre part de la preuve de l’ accord du  conjoint pour que le bien ne tombe pas en communauté.

Ce formalisme est rarement respecté avec cette malheureuse conséquence qu’un époux peut perdre un propre faute de toute prévision contractuelle contraire au moment où il réalise le bien pour le réinvestir dans d’autres biens ou droits.

Il convient d’y être attentif.

Net Vs Réputation: un combat inégal.

 

Internet fonctionne de telle sorte que la moindre rumeur peut aujourd’hui devenir mondiale en quelques heures ou en quelques jours. Elle se répand à une vitesse extraordinaire et exponentielle  entre sites éditoriaux, blogs et forums. Il n’en faut pas moins pour détruire une réputation à tout jamais en quelques instants sur la base de fausses informations.

La situation  est d’autant plus avérée que les nécessités commerciales de l’information sont aujourd’hui telles que les médias ont besoin de renouveler sans cesse leurs sujets et qu’ils ne prennent plus le temps de les vérifier en profondeur,  confondant actualité et buzz. Et ce travers  est également d’autant plus fort que le public est particulièrement friand de ce qui peut nuire à la réputation des personnalités.

Face à cela, la loi est fort désarmée.

En  France, pays pourtant bien équipé législativement sur ce point, la loi de 1881 présentait déjà l’inconvénient du temps de retard,  inévitable en ce que lié aux contraintes de la procédure,  quand il s’agissait seulement de combattre les diffamations ou autres délits de presse commis par les médias traditionnels, qu’il s’agisse de la  presse écrite ou des médias audiovisuels. Pour autant, la tâche était nettement facilitée dans la mesure où le support en cause était isolé et où la poursuite produisait  ses effets sans grand risque de récidive.

Avec Internet, la situation est tout à fait différente.

Certes, la loi, et ici encore particulièrement la loi française à travers les dispositions du texte de 2004 sur la confiance dans  l’économie numérique ou des textes régissant la gestion des données informatiques individuelles, permet d’obtenir la suppression d’internet et la désindexation sur les moteurs de recherche d’articles et d’informations qui sont contraires aux droits des personnes. Mais il faut bien être conscient que ceci implique une demande, le temps de réaction à celle-ci,  puis  une procédure avec toute son inertie et ses délais en cas de mauvaise volonté des acteurs en cause.  Et il faut aussi et surtout mesurer qu’une fois qu’on a obtenu le nettoyage d’une information sur un site, on est susceptible de la retrouver dans les heures qui suivent sur un autre site, et ainsi de suite, jour après jour.

La personne qui est confrontée à ce genre de difficulté est ainsi aujourd’hui dans une situation extrêmement délicate et lutte à armes inégales contre ce monstre médiatique qu’est devenu Internet.

Elle doit dès lors pour se défendre aller consulter des cabinets d’avocats spécialisés qui doivent mettre en place des process quasiment automatisés pour attaquer sans relâche tous les sites qui peuvent véhiculer et publier l’information litigieuse. Et ayant réussi à le faire,  ce qui n’est pas simple, il n’est alors jamais acquis que l’information ne refleurisse pas ailleurs pour se répandre à nouveau comme une trainée de poudre. De droit à l’oubli, il n’est même plus question. A cela s’ajoute une note de complexité particulièrement lourde : les informations proviennent parfois de pays dans lesquels la loi est beaucoup moins protectrice que celle de la France.

Au bout du compte, tout ceci coûte très cher à la personne qui a la malchance de se trouver dans cette position, avec on le comprend dans de telles circonstances, des chances de succès plutôt aléatoires.

Autant dire qu’Internet peut être une arme de destruction massive de la réputation de tout un chacun. Et de ce point de vue, aucun d’entre nous n’est à l’abri.

Pour cette raison, beaucoup d’acteurs de cette problématique se tournent désormais  vers d’autres solutions et méthodes que celles d’ordre purement juridiques et judiciaires.

Internet étant un automate, l’idée est devenue de s’appuyer sur  sa logique fonctionnelle pour en contourner des effets toxiques de la nature de ceux qu’on a décrits.

Fleurissent donc aujourd’hui des entreprises d’un type nouveau dont le but est de créer et de mettre en œuvre des méthodes et des solutions purement techniques  pour marginaliser les informations litigieuses,  et émuler les moteurs de recherche qui en font état,  de sorte qu’elles deviennent difficilement visibles pour les internautes. Cette gymnastique est un pis-aller coûteux et complexe mais reste une solution opérationnelle à terme.

Dans le même ordre d’idée, nos cabinets d’avocat suggèrent souvent à leurs clients des mesures complémentaires et synergiques passant par des contre-attaques médiatiques consistant à se raccrocher à des informations critiques en créant des sites les reprenant pour mieux les combattre. Le combat n’est plus juridique ni judiciaire. C’est une guerre de la communication et une course aux premières places sur les moteurs de recherche.

Enfin, nos cabinets conseillent parfois à certains organismes ou certaines entreprises qui sont attaqués comme tels de protéger leur dénomination à titre de marque de façon à pouvoir s’attaquer sous l’angle de la contrefaçon, du dénigrement ou du parasitage, à tous ceux qui les utiliseraient à des fins détournées et dommageables.

On le voit, ce combat impose aujourd’hui une stratégie inventive, qui va bien au-delà de l’application d’une loi sur la presse qui est certes pleine de bonne volonté mais dont la mise en œuvre est délicate et souvent si lente qu’elle est d’entrée dépassée.

Morale de l’affaire pour ceux qui ne veulent surtout pas se gâcher la vie avec tout ça: « vivons heureux , vivons cachés ». Et pour ceux qui ne le pourraient pas, ayez le cuir épais et souffrez  votre sort en vous contentant d’être en ordre avec votre conscience.