Le Parisien Libéré

A la fin des années 1970, la presse écrite est en crise, à divers titres.

Le groupe Amaury  qui édite Le Parisien Libéré est agité, les organisations syndicales toujours actives dans le secteur de la presse s’y  montrent très offensives.

Des commandos de travailleurs s’en prennent régulièrement aux véhicules qui assurent la livraison à Paris des exemplaires du journal dans les kiosques ou dans les librairies. Ils les arrêtent, s’emparent de leurs cargaisons, qu’ils jettent et dispersent sur la voie publique.

Las, la justice s’en mêle et plusieurs de ces travailleurs sont renvoyés en correctionnelle sous la prévention de vol.Une magnifique équipe de défense est alors constituée, au sein de laquelle on trouve les noms prestigieux de Robert Badinter, Jean-Denis Bredin, Francis Jacob, Jules Borker, Marc Henry…

Les audiences sont passionnantes, tendues, les affrontements entre le Parquet et la défense donnent lieu parfois à des joutes verbales extrêmement violentes.

Je garde un souvenir amusé d’un épisode.

Robert Badinter et Jean-Denis Bredin, qui avaient par ailleurs été mes professeurs de procédure pénale et de procédure civile à la faculté, se succèdent un jour d’audience à la barre.

Ils n’entendent pas leurs plaidoiries respectives puisque Robert Badinter plaide au moment où Jean-Denis Bredin est quant à lui encore à donner ses cours, et il vient le relayer plus tard.

Robert Badinter pour illustrer que le fait reproché aux prévenus ne pouvait être constitutif de vol – après tout ils n’avaient fait que se saisir de liasses de journaux et  les jeter sur la voie publique – va vers le Procureur de la République, se saisit du  code pénal posé sur son pupitre, et feint de le lancer à travers la salle, en s’exclamant de sa forte voix  « Est-ce du vol !? ».

Quand Jean-Denis Bredin arrive quelques dizaines de minutes plus tard à l’audience et se met à plaider à son tour, il n’a pas entendu son confrère, ami et associé Robert Badinter, mais il fait exactement la même chose…

Sourires amusés dans la salle.

Ce procès que j’ai suivi aux côtés de Jules Borker a mis en tous cas en évidence les styles de ces grands ténors :

la pugnacité et le courage de Jules Borker, qui ne concédait rien au Parquet ;
la voix de bronze de Francis Jacob, qui résonnait bien au delà des portes de la salle d’audience chaque fois qu’il plaidait ;
Robert Badinter, martelant ses arguments tel un marteau-piqueur pour les graver dans l’intelligence de ses juges;
l’élégance d’escrimeur de Jean-Denis Bredin, gracieux, fin, précis, impeccable, faisant chaque fois mouche, sorte de  d’Artagnan du barreau.

Les commentaires sont fermés.