Manufrance

La prestigieuse et célèbre entreprise Manufrance, Manufacture Française d’Armes et Cycles de St.Etienne, première société française de vente par correspondance depuis 1885 était située dans la ville industrielle de Saint-Étienne. Essentiellement spécialisée dans les fusils de chasse et les bicyclettes, elle a aussi vendu d’autres produits, allant de la canne à pêche aux articles ménagers.

Léguée en 1970 par la famille de ses fondateurs à la ville de Saint Etienne, la société connut d’importants déboires qui conduisirent à sa mise en règlement judiciaire en 1979.

L’activité se poursuivit de difficultés en difficultés à travers la Société nouvelle Manufrance sous des gestions diverses jusqu’à ce qu’une ultime tentative de sauvetage vienne  du personnel lui-même avec la SCOPD Manufrance en 1982.

Malgré les soutiens généreux des gouvernements Mauroy puis Fabius, l’entreprise ne réussit pas à se redresser et capitula en 1985, sa liquidation judiciaire laissant de nombreux créanciers impayés.

Après une très longue occupation des usines, de nombreux dirigeants furent alors poursuivis en justice,  dont le  directeur général de la SCOPD dont j’eus l’honneur d’être l’avocat.Celui-ci ne venait pas du mouvement syndical  mais était un cadre supérieur qui avait été recruté à l’extérieur. Arrivé ainsi à ces responsabilités  dans cet environnement très politisé, cet homme brillant fut rapidement convaincu de la justesse de la cause de la SCOPD et il fit cause commune avec elle, se découvrant des sympathies qu’il n’aurait pas imaginées avant de prendre ses fonctions.

Les dirigeants, des responsables syndicaux et les commissaires aux comptes furent renvoyés sous diverses préventions, dont celle d’abus de biens sociaux et vols,  devant le Tribunal correctionnel à l’initiative d’un syndic et d’une autorité de poursuite très agressifs, en partie animés par des arrières pensées politiques, mais aussi par l’inquiétude que justifiait la disparition d’importants stocks des armes fabriquées ou distribuées par l’entreprise.

L’équipe de défense était parfaitement unie et s’avéra particulièrement productive.

J’y côtoyais Nicole Dreyfus, le bâtonnier de Lyon, Ugo Ianucci, le bâtonnier de Paris, Bernard Bigault du Granrut, Frédéric Weyl, Emmanuel Brochier et quelques autres confrères de qualité.

Le procès en première instance se tint à Saint-Etienne. Nous aurions mieux fait d’obtenir sa délocalisation mais aucun argument en faveur d’une telle dérogation aux règles n’existait.

En tous cas, dans cet environnement totalement lié à l’histoire de Manufrance, notre équipe de défense, fut extrêmement mal accueillie, sans doute aussi parce qu’elle était majoritairement constituée d’avocats parisiens.

Ainsi et alors que nous demandions un simple aménagement d’audience à l’ouverture du procès, le substitut représentant le Procureur de la République nous fit savoir aux termes d’une déclaration musclée, digne d’un mauvais western,  que ce n’étaient pas les avocats parisiens qui allaient faire la loi à Saint-Etienne !

Le résultat fut à l’avenant . Le 9 juillet 1992, le Tribunal de Grande Instance de Saint-Étienne prononça de très lourdes condamnations pénales et civiles contre dix-sept des prévenus, dont mon client.

Tous firent appel devant la cour de Lyon.

L’audience devant la cour de Lyon fut mémorable. En signe de soutien à leurs camarades condamnés, les syndicats envoyèrent des militants de toute la France, des trains spéciaux furent affrétés à cet effet, et un cortège de 70.000 manifestants s’ébranla en colonnes de la gare vers la cour d’appel en passant par la place Bellecour.

On aurait pu craindre dans ce contexte quelques débordements , mais ce ne fut pas le cas, l’audience se passa sagement, les syndicats restant dehors, sur les quais,  pendant les deux jours du procès.

Devant la cour de Lyon, nous pûmes enfin faire notre travail dans des conditions normales, sans être confrontés comme à Saint-Etienne à un environnement et des préjugés hostiles.

Au terme de longs débats, apaisés par un avocat général qui avait quant à lui su prendre du recul avec l’histoire, les juges d’appel finirent par relaxer le 2 juin 1993 la totalité des prévenus, marquant ainsi la fin de l’affaire Manufrance.

Ce fut une victoire qui suscita en nous une extrême joie.

Je conserve de ce dossier un souvenir très fort à raison des liens de solidarité et d’amitié qui unirent tout le temps que dura le procès toute l’équipe de défense, alors même que les uns défendaient des dirigeants cadres, d’autres des syndicalistes, d’autres enfin des commissaires aux comptes.

Mais c’est la magie de la défense que de savoir souvent en pareille circonstance se souder pour faire de ces causes éparses et parfois contradictoires une seule et même cause, un seul et même corps, une voix commune.

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